Le Journal de l'Information 20. November 2021

Pour pouvoir contrôler l’ensemble territoire, Dakar a décidé d’assurer la sécurité des biens et des personnes jusqu’à Banjul et Bissau. C’est l’une des armes diplomatiques que Sénégal déploie dans ces deux pays limitrophes afin de pouvoir venir à bout au mouvement indépendantiste de Casamance.

Depuis l’arrivée de Umaro Sissoco Embaló au pouvoir, le Sénégal et la Guinée Bissau ont signé plusieurs accords dont celui de la défense militaire. Ce dernier donne droit à l’armée sénégalaise de poursuivre « les bandes armées » jusqu’en terroir Bissau Guinéen. Il l’autorise également à se déployer sur le sol du voisin pour attaquer les positions des combattants du MFDC – mouvement des forces démocratiques de Casamance – par derrière.

Accords militaires

C’est dans ce contexte que les armées de ces deux pays (Sénégal et Guinée Bissau ont pu mener des opérations militaires conjointes qui ont permis aux « Diambars » (ndlr militaires sénégalais) de reprendre certaines positions avancées du MFDC de Sikoune au mois de février dernier.

Ainsi, les autorités du Sénégal et de la Guinée-Bissau se sont rencontrées à Bissau le samedi 23 octobre dernier afin de parvenir à une gestion concertée de la frontière commune. Cette réunion a permis de dégager des pistes de réflexion et des actions concrètes à mener pour mettre « fin au grand banditisme le long de la frontière commune, au vol de bétail ». Au même moment, le chef d’état-major sénégalais était, lui aussi, à Bissau pour peaufiner une stratégie visant à « démanteler le camp rebelle de Kassolol et déloger le commandant César Atout Badiate et ses hommes », d’après une source policière du pays d’Amílcar Cabral. Cette information a été confirmée par des officiers et un journaliste sénégalais joints par nos services.

Il faut rappeler que les Forces de défense et de sécurité du Sénégal et celles de la Guinée Bissau avaient déjà tenu une réunion, le samedi 28 novembre 2020, placée sous le thème : « Les mécanismes pour une meilleure prise en compte des défis sécuritaires transfrontaliers ». Une rencontre à laquelle ont pris part le Colonel Souleymane Kandé, le commandant de la zone militaire n°5 d’alors, côté sénégalais, entre autres personnalités, et Sana Namancagna, Commandant de la Province Nord de la Guinée Bissau.

Même si ces accords permettent « au Général » (ndlr le Président Umaro Sissoco Embaló) de sécuriser son fauteuil, ils l’exposent et le fragilisent sur le plan intérieur. Pour le Bissau – Guinéen lambda, « l’envahisseur encombrant » (ndlr Sénégal) veut tout simplement profiter de ces accords pour pouvoir modifier les milites de la frontière commune, mettre sa main sur le pétrole, l’économie et contrôler les points stratégiques militaires de la Guinée Bissau. Fièrs de leur indépendance obtenue après une lutte armée de libération, l’opposition et la société civile et des activistes engagés ne cessent de dénoncer « les agissements de Macky Sall qui a imposé Umaro Sissoco Embaló à la Guinée Bissau ». Contactés par le Journal de l’Information, un haut cadre à primature, des anciens combattants de la lutte de libération, des officiers de l’armée et certains cadres du Parti de la rénovation sociale (PRS, troisième force politique du pays) ont déploré l’attitude de leur Président qui, selon eux, a accepté de vendre leur « nation au Sénégal impérialiste qui cherche à dominer dans la sous-région ».

Marins Sénégalais sur l’archipel des Bijagos

Mais ce qui agacent et humilient le plus la société civile et une partie de la grande muette Bissau Guinéenne, c’est la présence de nombreux marins sénégalais, selon plusieurs sources. Pour eux, après le départ des troupes de la CEDEAO, le Sénégal n’a aucun autre motif légal pour envoyer encore son armée d’occupation dans leur pays. Basés à l’île Bolama avec leurs bâtiments dont des patrouilleurs, ils patrouillent les îles Caravela, Carachi, Bubaque et Canhabaque de Bijagos de la Guinée Bissau.

Cette mission militaire a un double rôle à jouer : appuyer les forces spéciales de la garde présidentielle pour renforcer la sécurité du président Umbaló qui craint d’être renversé, et surtout empêcher tout ravitaillement en armes et munitions par la mer aux indépendantistes casamançais.

Mais l’on se fie à un haut officier de l’armée sénégalaise qui a requis l’anonymat, cette composante navale des forces armées du Sénégal sera aussi déployée lorsque les Diambars vont mener l’offensive pour « démanteler et déloger le chef rebelle César Atout Badiate de son bunker pour en finir une fois pour toute avec la rébellion casamançaise ». Comme le Chef d’état-major général des Armées Birame Diop a opté pour « une défense élastique », explique notre source, une partie de ces marins sénégalais présents sur l’archipel de Bijagos pourrait débarquer à Valera (un village Bissau Guinéen situé sur la côte atlantique). L’autre groupe de marins va remonter le fleuve Defename à partir de Ponta de Bolor jusqu’à Kasolol. A partir de là, poursuit-il, ils vont rejoindre les autres unités militaires venant de Boudiédiète, Djirack, Youtou, Effoc et Kaguite. La tactique militaire envisagée est d’encercler l’État-major de César afin de les contraindre mes à se rendre ou à se faire tuer s’ils refusent de capituler.

Docteurs militaires sénégalais dans les hôpitaux Bissau Guinéens

Après avoir barré la route maritime aux combattants casamançais, le Sénégal cherche à contrôler le ministère de la Santé et sept hôpitaux publics d’envergure nationale ou régionale, auxquels viennent s’ajouter quelques 114 centres de santé répartis sur l’ensemble du territoire. Dakar a toujours soupçonné Bissau d’avoir fourni des armes, munitions, des médicaments au MFDC et de soigner des combattants blessés ou malades dudit mouvement dans ces hôpitaux. C’est la raison pour laquelle Macky Sall a décidé d’envoyer en Guinée Bissau, dès la fin du mois de novembre 2021, une mission de professeurs de médecine et d’anciens docteurs militaires de l’Hôpital Principal de Dakar. Il faut préciser que cette mission entre dans le cadre des accords de défense militaire.

Ce n’est pas la première fois que l’État Sénégalais prête une attention particulière à la Guinée-Bissau qui lui est frontalière. Sous le règne de l’ancien Président Abdou Diouf, le Sénégal a offert à la Guinée Bissau des véhicules et du matériels militaires. Quelques heures seulement après l’éclatement de la guerre de 1998, Dakar a envoyé à Bissau plusieurs centaines de militaires pour tenter de sauver en vain le régime de l’ex-Président feu Nino Viera.

Sous Abdoulaye Wade, le Sénégal a combiné sa légitimité démocratique, ses réseaux diplomatiques et ses maigres ressources matérielles pour mener tout au long des années 2000 une véritable politique d’influence et de patronage. Il a ainsi obtenu l’engagement significatif de l’armée guinéenne contre les rebelles casamançais. Loin d’être un simple relai de la politique de la France ou de l’Occident, le Sénégal a ainsi démontré, sous la direction d’Abdoulaye Wade, sa capacité à profiter d’une conjoncture favorable pour exercer un véritable pouvoir, malgré ses moyens limités.